2018/03/21

Papa, j'ai de la peine

Cher papa,

Je voudrais tellement me réjouir. Parce que tu ne souffres plus, parce que tu as pris le temps de bien réfléchir, parce que tu as pris ta décision quand tu as été prêt. Parce que tu as gagné ton combat contre cette maladie sans coeur.

Je voudrais tellement être en paix, soulagée de savoir que tout s'est passé comme tu l'as souhaité.

Je voudrais tellement, mais non, j'ai de la peine, une immense peine. Une peine égoïste.

Pas que je voulais te garder auprès de moi à tout prix. Dès le départ, j'ai compris. Compris que tu étais fatigué, que tu ne voulais pas que ça s'éternise. Et j'étais 100% d'accord avec toi, je te le jure. Pas une seconde je n'ai pensé que tu prenais la mauvaise décision.

Mais j'ai trouvé ça difficile. Les jours, heures, minutes qui se sont égrenés à une vitesse folle, jusqu'à la fin. Je sais que tu étais prêt, mais visiblement, moi, je ne l'étais pas tant.

Te voir aussi serein aurait du me calmer, me rassurer. Au contraire, je me dis que tu devais tellement plus souffrir que ce que tu nous montrais... J'aurais tellement aimé être dans ta tête, dans ton coeur. Tu as eu de la peine de nous laisser derrière, mais tu as été suffisamment fort pour garder le cap. La dernière demi-heure, le moment des adieux, des câlins, des "je t'aime" hurlés tout bas, cette dernière demi-heure a été tellement intense, tellement pure, tellement vraie.

Je regarde les photos de notre dernier week-end avec toi et te voir sourire avec fierté, avec la paix dans tes yeux me bouleverse. Tu étais content de savoir que la délivrance arrivait, tu profitais de chaque moment avec tellement de noblesse. Comment ne pas comprendre que tu te savais à la croisée des chemins et que la voie que tu avais choisie exigeait qu'on te lâche la main.

Ma tête comprend tout ça, tellement. Mais mon coeur, lui, est anéanti. Que tu ne sois plus là est incompréhensible. De savoir que tu ne seras plus jamais là est une réalité violente.

Je suis heureuse d'avoir pu être avec toi au cours de tes derniers jours, d'avoir fait plein de trucs qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Je suis heureuse, mais si triste de savoir que ces moments ne se répéteront plus. J'aurais voulu faire plus, faire mieux. J'aurais voulu étirer le temps.

Papa, j'ai de la peine. De la grosse peine qui fait mal à ne plus savoir comment la gérer. Je croyais que mon bonheur de te savoir libéré prendrait le dessus, mais non, du moins, pas pour le moment.

J'aurais aimé être forte, me concentrer sur ta victoire contre la maladie, car oui, c'est toi qui as gagné, elle ne t'aura pas réduit autant qu'elle se promettait bien de le faire. J'aurais aimé être aussi sereine que toi, aussi lucide. C'est un échec. Un gros échec.

Je pleure ma vie. Pas tout le temps. Mais souvent, et sans motif valable. Je peux parler de toi, le sourire aux lèvres, puis m'effondrer l'instant d'après. L'adulte que je suis est extrêmement fière de toi et voudrait crier sur tous les toits à quel point tu as fait ce qu'il fallait, comment tu as été grand et courgeux. Mais la petite fille en moi est inconsolable. Je ne veux pas, où que tu sois, que tu te sentes coupable de voir que je suis aussi faible, aussi braillarde; ça passera...

Un jour, pas trop lointain j'espère, je pourrai moi aussi être grande, courageuse et affronter la vie, comme toi, avec toi dans mes pensées et dans mon coeur. Un jour, ce n'est plus la perte qui prendra toute la place, mais tous mes beaux souvenirs avec toi.

Papa, j'ai besoin que tu mettes ta main dans mon dos pour m'aider à surmonter cette immense montagne. Je crois que je n'y arriverai pas sans toi.

Je t'aime papa et ton départ me fait mal, mais ta délivrance est un baume qui agira certainement avec le temps, laissant ton beau sourire prendre toute la place. En attendant, j'apprivoise mes larmes aux goûts amers de solitude, de regret de n'avoir pas suffisamment profité de ta présence quand c'était le moment, de colère devant les bassesses de la vie, d'égoïsme de t'avoir perdu malgré tes douleurs et d'incompréhension de petite fille qui vient de perdre le premier homme de sa vie.

Ouvre tes ailes, que tout ceci n'ait pas eu lieu en vain. Éclaire-moi, rassure-moi, aime-moi, encore.